La liberté d’expression au Devoir
L’un des plus beaux exemples de liberté d’expression me vint de l’une des époques où j’étais au Devoir.
N’approuvant pas les moyens de pression des infirmières dans le conflit les opposant au gouvernement Bourassa, lorsque je suggérai cette caricature au directeur du Devoir, M. Benoit Lauzière, pour l’édition du
2 novembre 1989, il me dit :
« Votre caricature va à l’encontre de notre politique éditoriale. » Je lui répondis : « Oui, mais est-elle bonne ? » Il me répondit oui et… la publia !
Cette tolérance à propos d’une opinion contraire à la ligne éditoriale d’un journal était pour moi une première.
Je ne crois pas que la chose aurait pu être possible sous le règne de Claude Ryan ou de l’intérim Roy-Bissonnette. Ni dans aucun autre quotidien d’ailleurs.
Caricature prémonitoire
La liberté de presse n’est pas l’apanage d’un quotidien, mais plutôt des gens qui le dirigent.
En ce qui me concerne, la palme du muselage revient à Mme Lise Bissonnette, précurseure du wokisme.
Le 11 janvier 1980, sous l’intérim Roy-Bissonnette, Le Devoir accepta ma caricature où l’on voyait une femme (possiblement enceinte ou simplement rondelette) criant : « Qu’est-ce qu’on en fait du viol sans effraction ? » Ce dessin éditorial visait à jauger le socialement acceptable de la position féministe sur la violence sexuelle, où elle débutait et où elle finissait. La publication souleva quelques protestations.
Dame Bissonnette ne me dit mot d’aucun commentaire reçu, s’excusa et me refusa tout droit de réplique. BRRRAAAAAVO pour la liberté d’expression !
À l’époque, la revue Libre-Magazine, également composée de libres penseurs, dénonça vertement la situation, mentionnant que la direction du Devoir avait réagi comme de vieux curés bigots d’une époque révolue. Nous étions en 1980. Quelle vision prémonitoire !
Quelques semaines plus tard, l’actualité s’y prêtant, je revins sur cette thématique. Comme Dame Bissonnette n’avait pas retenu le dessin proposé, je lui fis remarquer que dans ce cas-ci, il s’agissait d’une caricature proféministe, clin d’œil pouvant contrebalancer avec le dessin précédent. Dame Bissonnette me répondit : « On ne touche plus à ce sujet ! »
Selon certains, cette grande Dame aura beau, dix ans plus tard, faire mieux que ces prédécesseurs en « sauvant Le Devoir de l’extinction par une gestion innovatrice et audacieuse », il n’en demeure pas moins que sa réaction envers la caricature du 11 janvier 1980 en disait long sur sa vision de la liberté d’expression et de son respect du dessin éditorial ! Il ne faudra pas se surprendre qu’en 1990, lors de son glorieux retour au bercail, la première manifestation de son emblématique pouvoir sera de me foutre à la porte.
Quand les Anglais se font traiter de racistes
Ma caricature publiée dans Le Devoir du 26 octobre 1989 avait pour titre : Société distincte : l’intervention du Manitoba. Elle critiquait la position de cette province dans ce dossier. La presse anglophone réagit fortement à ce dessin. Malgré le fait que les réseaux sociaux n’étaient pas encore nés, la caricature se répandit comme une traînée de poudre à travers le Canada, faisant la une de plusieurs journaux. Le parlement en fut même saisi.
Notons qu’à cette époque (et ça n’a pas vraiment changé), les caricaturistes anglophones n’en rataient pas une pour traiter le Québec de raciste allant même à comparer René Lévesque à Hitler. Ne s’attendant pas à autre chose de la presse anglophone, le Québec prenait ça avec un grain de sel. Mais qu’on donne un retour d’ascenseur, qu’un caricaturiste québécois francophone leur rende la pareille, alors là, c’était difficile à avaler.
Ce jour-là, la cheffe de l’opposition officielle du Manitoba, Mme Sharon Carstairs venait au Québec pour rencontrer le premier ministre de l’époque, M. Robert Bourassa. Elle devait également accorder une entrevue au Devoir. Sous la menace de contremander cette entrevue, Mme Carstairs somma de vive voix le quotidien de s’excuser d’avoir publié une telle caricature. Le directeur du Devoir, M. Benoit Lauzière, se tint debout et ne s’excusa point. Mme Carstairs tourna les talons et s’en retourna en rongeant son frein. Comme la Manitobaine ne savait pas trop quoi dire aux Québécois, sa rencontre avec le premier ministre porta principalement sur la caricature. On la voyait photographiée, montrant « l’infâme dessin » au premier ministre du Québec. Devant ses reproches incessants, Robert Bourassa lui répondit : « Vous savez madame, il (le caricaturiste) en a fait de bien pires sur moi ! »
Contrairement à quelques années auparavant, sous la direction de M. Michel Roy — appuyé de Dame Bissonnette à l’éditorial — cette fois, Le Devoir m’accorda un droit de réplique. Dans l’édition du 30 octobre, pour l’Halloween, je dessinais une Sharon Carstairs en sorcière en train d’empoisonner le lac Meech.
La liberté d’expression au Courrier du Sud
Contexte
Le Courrier du Sud a été fondé par M. Jean-Paul Auclair, en 1947. De journal bilingue à ses débuts, il devint entièrement francophone dans les années 70 avec la montée du nationalisme québécois et l’élection d’un gouvernement souverainiste. Tout comme Pierre Péladeau, Jean-Paul Auclair avait à cœur l’émancipation du Québec. Des amis comme Doris Lussier n’étaient pas étrangers à sa démarche.
Lorsque j’entrai au 267 rue Saint-Charles Ouest à Longueuil au début des années 70, M. Auclair possédait déjà plusieurs journaux locaux réunis sous la bannière des Hebdos Rive-Sud. Il va sans dire que Le Courrier du Sud y trônait par son importance et son tirage. Desservant « Laflèche, Longueuil, St-Lambert, Lemoyne, Préville, Greenfield Park, Brossard, Notre-Dame-du-Sacré-Cœur, Boucherville et St-Hubert », son slogan était : « L’hebdomadaire régional au plus fort tirage au Québec ». Durant 43 ans, j’ai eu grand plaisir à dessiner pour lui, au gré de la liberté qu’on m’accorda.
Des hauts et des bas
J’ai donc commencé à barbouiller dans Le Courrier du Sud en 1974. Bien que j’avais déjà publié des bandes dessinées dans les magazines Proscope et Vivre ainsi que quelques dessins dans l’hebdomadaire L’Œil Régional, c’est dans La Patrie et Le Petit Journal et bien entendu Le Courrier du Sud que je fis mes premières armes en tant que caricaturiste d’actualité politique. Mes premiers dessins étaient griffés Marko, avant de signer Phaneuf à partir de 1977.
M. Jean-Paul Auclair accordait beaucoup d’importance aux dessins éditoriaux. De 1976 à 1984, mes caricatures firent la une du journal à 163 reprises, soit dans une édition sur deux de 1976 à 1980. Malgré la vocation locale du journal, M. Auclair me laissait toute la latitude d’égratigner les grands événements nationaux. Ça m’allumait beaucoup. Peut-être qu’à l’époque, en s’abstenant de critiquer les administrations municipales qu’il desservait, ce journal évitait ainsi de froisser de précieux annonceurs ? Qui sait ? Chose certaine, la façon de voir les choses diffère selon les décideurs. Plus tard, d’autres me demanderont de pointer mon crayon vers la politique locale. Des maires comme Claude Gladu, Jacques Olivier, Paul Leduc ou Alain Dépatie feront preuve de tolérance concernant mes divagations caustiques. Quelques-uns iront jusqu’à se porter acquéreurs de dessins originaux, en souvenir de leurs mauvais coups, comme ce fut souvent le cas quand de politiciens nationaux lorsque j’étais au Devoir. Mais les politicailleurs et politicailleuses n’ont pas tous et toutes le même sens de l’humour, comme c’était le cas pour l’équipe de Caroline Saint-Hilaire, entre autres, qui faisait parfois remarquer à la rédaction du Courrier du Sud « que la mairesse était trop souvent caricaturée ». Certains auront la mèche encore plus courte, tout comme M. Denis Lavoie, ex-maire de Chambly qui, en 2016, n’appréciait vraiment pas les caricatures éditoriales qui le mettaient en vedette dans le journal de sa municipalité.
Deux démissions et un retour
Au milieu des années 80, au Courrier du Sud, mon privilège de traiter de la politique nationale fit rebrousser les poils du rédacteur en chef de cette époque. Confiné aux nouvelles locales, ce dernier aurait bien aimé avoir autant de liberté que le caricaturiste dans ses éditoriaux. Comme l’acceptation de mes dessins ne relevait pas de lui, mais de son patron, à l’occasion, le rédacteur trouva des façons d’exprimer son désaccord lorsque le contenu éditorial de certains dessins lui déplaisait. À la toute fin de 1984, j’en ai eu assez et je décidai de quitter le journal.
Le grand patron refusa ma démission. Il promit de remédier à la situation… qui se rétablit pour un certain temps. Entre le rédacteur en chef et le caricaturiste, on pouvait parler d’une cohabitation de raison. Mais le vieux proverbe « chassez le naturel, il revient au galop » tenait la route. De temps à autre, certains de mes dessins étaient étriqués, compressés ou même déformés pour entrer dans les espaces restants. Autrement dit, il s’en servait parfois comme bouche-trou. La bonne volonté jadis manifestée foutait le camp.
La rédaction alla même jusqu’à changer la portée éditoriale de certaines caricatures en les charcutant et modifiant les titres. Ça dépassait la censure ! Je ne trouve aucun mot pour décrire une telle situation.
Las de ce rédacteur en chef qui n’avait pas la trempe des Lucien Beauregard, Ginette Perron et Geneviève Michaud, à la fin avril 2001 je quittai Le Courrier du Sud.
Une pause d’un an au Point Sud
Une pause d’un an au Point Sud
Maurice Giroux m’approcha alors pour collaborer au journal Point Sud. J’acceptai son invitation. Toujours en tant que pigiste, j’ai collaboré à ce journal communautaire durant une année. Entre-temps, le rédacteur en chef au Courrier du Sud avait changé. Je retournai donc à mes anciennes amours qui durèrent encore une bonne quinzaine d’années. Cependant, M. Auclair me « proposa » une diminution de salaire. C’était de bonne guerre. S’il est permis à un caricaturiste d’avoir du front, il doit parfois payer pour ses affronts !
Survivre à des changements de direction
En 1997, Jean-Paul Auclair vendit Le Courrier du Sud à son bon ami Pierre Péladeau qui rendit l’âme peu de temps après la transaction. Selon la rumeur, une condition faisait partie de la vente : Jean-Paul Auclair conservait la direction de son journal et aucune restructuration de personnel n’y serait faite tant qu’il vivrait. M. Auclair décéda douze ans plus tard, à la toute fin de 2009. Donc, en 2010, Quebecor n’était pas fâché d’entrer au 267 rue Saint-Charles Ouest. Personne à la rédaction du Courrier du Sud n’était assuré de conserver son emploi. Pour un pigiste comme moi, œuvrant sans contrat de travail, un changement de direction n’était pas de bon augure, ayant vécu une situation semblable au Devoir en 1990. N’ayant rien à perdre, je me suis dit : « c’est le bon temps de demander une augmentation ! Ça va leur donner une bonne raison de me mettre à la porte ! » Contre toute attente, au lieu de m’envoyer paître, je conservai mon emploi. Le nouveau directeur régional, M. Serge Labrosse, eut foi en moi, me consentant un meilleur salaire et de meilleures conditions de travail. Une période très intéressante se dessinait pour la caricature.
Tout comme à l’époque de Jean-Paul Auclair, sous la gouverne de Serge Labrosse, la liberté d’expression était au rendez-vous. Même si la consigne visait la nouvelle locale, je pouvais assez souvent
traiter de la politique provinciale et nationale, car plusieurs politiciens et ministres provenaient de la région.
À la fin de 2013, le Courrier du Sud ainsi que 73 autres hebdomadaires du Québec appartenant à Sun Media, une filiale de Québecor Média, étaient vendus à TC Média, une division de Transcontinental.
M. Labrosse, directeur régional, conserva son poste (pour un certain temps) de même que les équipes rédactionnelles qu’il avait mis en place dans les hebdos de Quebecor.
Après le beau temps, arrive la pluie
Vers 2016, toujours chez TC Média, un nouveau directeur régional en la personne de M. Éric Aussant fut nommé. Je lui dois mon congédiement du Journal de Chambly. N’ayant pas les mêmes couilles que son prédécesseur, il avait probablement été plus sensible aux pressions du maire Lavoie qui n’appréciait pas la critique et encore moins des caricatures mettant en relief ses « épaissitudes ». Dans de telles circonstances, congédier un caricaturiste pour des raisons de « restrictions budgétaires » était de mise.
Se tenir debout
Au Courrier du Sud, en mars 2017, vint la caricature de la journée de la femme, mettant en vedette le premier ministre Couillard lançant des pierres à une grande dame, Fatima Houda-Pepin (voir la prochaine anecdote). Dans cette histoire où le bureau du premier ministre alla directement se plaindre d’un dessin éditorial aux propriétaires du Courrier du Sud, la réaction de Transcontinental fut lamentable. Devant cette tentative de museler la liberté d’expression, la direction de TC se mit elle-même face contre terre en se confondant en excuses. L’opinion publique se rangea derrière la caricature. TC avait bien hâte que cette petite tempête médiatique prenne fin. C’est peut-être la raison pour laquelle ils me laissèrent mon emploi. Du moins dans l’immédiat.
Après cette caricature mémorable, on suivait mes dessins de près. Le politiquement correct était de mise et la rédaction plutôt pointilleuse.
L’effet de Gravité
Quelques moins passèrent et Le Courrier du Sud changea à nouveau de main. Avec cinq autres publications, il passa dans le giron d’un nouveau groupe de presse : Gravité Média.
Un an et demi plus tard, on m’annonça que ma collaboration au Courrier du Sud prenait fin pour des raisons de « restrictions budgétaires », évidemment. Conscient de la situation précaire des médias, je leur proposai du coup de réduire de moitié mon maigre cachet. Ma proposition sembla plaire à la Chef de nouvelles et à son adjointe en ce 27 novembre 2018, dans un resto de la rue Saint-Charles où, dans un dîner du condamné, elles venaient de m’annoncer la nouvelle de mon congédiement.
Il ne restait qu’a présenter l’offre à Mme Voyer, PDG de Gravité Média. On me promit une réponse rapide, d’un jour à l’autre… puis d’une semaine à l’autre, finalement d’un mois à l’autre, si bien que le 22 février 2019, la Chef de nouvelles du Courrier du Sud, dans un xième courriel, me promettait encore une réponse prochaine. Plus tard, par téléphone, on m’avisa que ma proposition n’avait pas été retenue, sans aucune contre-offre.
Étonnamment, quelques semaines avant de me remercier, Gravité Média m’avait proposé la signature d’un contrat d’un an. Un peu bizarre de proposer un tel contrat à quelqu’un qu’on s’apprête à foutre à la porte. Comme certaines clauses de droit d’auteur me semblaient hors normes, je demandai à la rédaction, la possibilité d’en discuter avec eux avant de signer. Peu de temps après, on me congédiait.
On m’affirma qu’il n’y avait aucun lien entre les deux événements. Il n’en demeure pas moins que cette histoire est empreinte d’un grand somnambulisme, pour ne pas dire une histoire à dormir debout ! Force de constater que notre société s’enfonce dans une léthargique peur d’avoir peur !
Il n’y a pas seulement le grand New York Time qui préfère se priver de la vigilance de la caricature, les petits hebdos aussi !
8 mars 2017, journée de «la» femme ou quand un premier ministre crie AU MEURTRE !
J’étais au Maroc lorsque j’ai réalisé ce dessin. C’est une destination vacances sans pareille. Il y fait toujours beau, les gens sont accueillants, c’est dépaysant ET… l’on est connecté au web. C’est pratique pour suivre ce qui se passe dans le monde, particulièrement de l’autre côté de l’océan.
Sur la rive sud de Montréal, la saga Houda-Pepin/Couillard rebondissait dans l’actualité à cause de la poursuite en diffamation du maire de Brossard déposée contre Mme Houda-Pepin qui l’avait accusé d’avoir entre autres fourni au PLQ l’élection « clé en main » de Gaétan Barrette.
Lundi 6 mars 2017, je fis parvenir ma caricature au Courrier du Sud pour l’édition du mercredi 8 mars 2017. La rédaction du journal me confirma son acceptation. Je revins de voyage le samedi 11 mars. Comme à cette époque je n’étais pas sur les réseaux sociaux, je n’avais aucune idée des remous que mon dessin avait provoqués.
Dès le dimanche, je reçus un appel téléphonique d’un certain Philippe Teisceira-Lessard, journaliste à La Presse. Il voulait recueillir mes commentaires concernant ma caricature du 8 mars. Je conclus qu’elle avait dû susciter des réactions en haut lieu pour qu’un digne représentant de La Presse daigne me contacter. Je n’étais alors au courant de rien, sauf du commentaire d’un lecteur qui n’avait pas aimé mon dessin. Ça arrive de temps en temps ! Mais que ça prenne une telle proportion, alors là, j’étais… comblé. Habituée de commenter l’actualité, une caricature devenait l’actualité. L’arroseur arrosé me direz-vous ? Ça, je l’avais bien mérité ! Ce que je trouvai encore plus révélateur que le dessin, fut le processus médiatique qui l’aspira. La façon dont cette « nouvelle » a été provoquée, diffusée et interprétée. Hyper instructif, éducatif, genre MÉDIAS-101.
Phase 1 : provocation de la nouvelle
À l’origine de cet incident médiatique, un jeune journaliste voit passer sur le web la caricature d’un chef d’État tentant d’égratigner une femme d’exception, la journée de la femme. Flairant l’arôme délicat du « scoop », il contacte le bureau de ce chef d’État et le somme de RÉAGIR (1). Aux dires mêmes du porte-parole du premier ministre Couillard, ce dernier ne réagit habituellement pas aux caricatures dont il est la cible. Sauf que cette fois-ci, le journaliste lui demanda expressément sa réaction (2). Ça m’a fait penser à l’histoire du pompier qui allumait des feux pour avoir du travail ! Façon comme une autre de faire son métier !
Lorsque le premier ministre prit connaissance de la caricature, en bon défenseur de la liberté d’expression, son bureau s’empressa de communiquer non pas avec le journal qui l’avait publié, mais directement avec les propriétaires du dit-journal, soit les grands patrons de Transcontinental, pour exprimer ses doléances. On nia en avoir demandé le retrait. Tout est possible. Mais lorsque les hommes de main d’un prêteur sur gages se présentent chez un petit commençant qui lui est redevable, ils n’ont point besoin de lui faire un dessin. Tout le monde comprend, et vite. En situation précaire, de peur de perdre d’éventuelles subventions, les dirigeants de TC retirèrent la caricature de leur site web et s’excusèrent à tous ceux qui voulaient bien les entendre. Pas très fort, dira avec raison Patrick Lagacé dans La Presse (3). Heureusement, la version imprimée du journal était déjà en distribution. Quant au PM, il poussa l’imbécillité jusqu’à qualifier la caricature de « meurtre ». Contrairement aux supporters du premier ministre Couillard ou encore à certains commentateurs bien-pensants qui taxèrent ce dessin de « mauvais goût », l’opinion publique, par le biais des réseaux sociaux, incluant Mme Houda-Pepin elle-même (4), l’avait bien accueilli. Même son de cloche chez les lecteurs de différents journaux, comme ceux du Devoir entre autres, qui étaient favorables au contenu éditorial du dessin.
Phase 2 : sa diffusion
La boule de neige lancée ne reste plus qu’à la laisser rouler … et grossir. Très tôt le lundi matin, les médias s’emparèrent de la nouvelle. À 6 h 45, mon téléphone sonnait pour un entretien avec Paul Arcand. Suivirent la Presse Canadienne, LCN, Dutrizac, Richard Martineau, Bernard Drainville, 100 % Normandeau et finalement Denis Lévesque en fin de journée.
Radio-Canada fit en une très bonne couverture (5). De plus, l’entrevue avec la directrice générale de la FPJQ, Mme Caroline Locher, résumait très bien les enjeux.
Le mardi, les autres journaux emboîtèrent le pas. À ma connaissance, l’une des couvertures les plus complètes vint du Devoir en la personne de son journaliste Philippe Papineau (6). Décidément, plusieurs Philippe firent partie de cette histoire. Force de constater qu’ils n’étaient pas tous aussi qualifiés.
J’étais aussi en contact avec l’équipe du Courrier du Sud qui me communiquait les demandes d’entrevues et me faisait régulièrement un compte rendu de la situation. J’ai même eu droit à une conférence téléphonique où la direction de Transcontinental m’a nettement donné l’impression de s’excuser… de s’être excusé ! Le ton de la discussion n’avait rien de réprobateur. Loin de me montrer la porte (pour le moment), la haute direction accepta de publier ma réplique au premier ministre Couillard qui, en plus d’avoir entaché la liberté de presse, avait qualifié la caricature de MEURTRE (7). Mon dessin-réplique fut publié sur le site web du Courrier du Sud dès le 16 mars, vers les 10 h 10, ainsi que dans la prochaine édition papier.
Phase 3 : son interprétation
Quant aux chroniqueurs et commentateurs, ils s’en donnèrent à cœur joie, conforment à leur image. Paul Arcand et Benoît Dutrizac démontrèrent une fois de plus le professionnalisme qui les honore, très différent de celui de Denis Lévesque dont j’acceptai de participer à l’émission, sans nécessairement en connaître le concept. Une fois l’entrevue terminée, des « placoteux systémiques » arrosaient l’invité qui lui, n’était plus là pour se défendre. Parmi ces commentateurs, seule une femme (dont je ne me souviens malheureusement plus le nom) possédait un jugement supérieur aux quatre bien-pensants offusqués, incluant évidemment l’animateur.
À regret, j’ai manqué certaines émissions, dont celle de Sophie Durocher qui m’a été transmise trop tard.
J’appris beaucoup en lisant le papier de Patrick Lagacé de La Presse (8). Il qualifia mon dessin de «caricature brutale, mais totalement publiable. C’est grinçant. » Très approprié comme commentaire. J’en conviens. Mais attention, le pot s’en vient : « Dommage qu’elle soit publiée trois ans après le litige Houda-Pepin-PLQ, mais le caricaturiste a droit à des inspirations, même décalées. » En écrivant ces lignes du haut de sa tour d’ivoire, M. Lagacé n’avait visiblement aucune idée de ce qui était d’actualité de l’autre côté du fleuve, sur la scène locale du compté de La Pinière. La saga confrontant Mme Houda-Pepin au PLQ ne s’était pas arrêtée en 2014, comme le mentionnait M. Lagacé. Elle s’était poursuivie. Après son expulsion du cocus libéral, Mme Houda-Pepin continua de défendre ses idées sur différentes tribunes, locales et nationales. Cela l’amena à se représenter aux élections provinciales dans la circonscription de La Pinière comme candidate indépendante. Le PLQ mit tout en œuvre pour lui infliger la défaite. Convaincue de pratiques déloyales de la part de son ancien parti, elle accusa le maire de Brossard, M. Paul Leduc, d’avoir entre autres fourni au PLQ ainsi qu’à son candidat Gaétan Barrette, une élection « clé en main ». Paul Leduc intenta alors une poursuite en diffamation contre Mme Houda-Pepin. En mars 2017, l’imminence de ce jugement très attendu remettait à l’avant-plan de l’actualité locale et provinciale, la dualité Houda-Pepin-Couillard. Braaaavo M . Lagacé pour votre « show de papier » un peu décalé !
Une autre perle. En entrevue, un certain Jonathan Trudeau alla même jusqu’à me demander « si je me réjouirais de la mort de M. Couillard ». Que ça peut être con comme question ! Loin de moi l’idée de souhaiter la mort de quiconque, encore moins celle d’un politicien. Ses gaffes sont mon gagne-pain lui répondis-je !
Dans un tout autre ordre d’idées, mes confrères caricaturistes soulignèrent l’événement de leur plume, ce qui me toucha profondément.
Je devais être présent à l’émission Infoman. Mais une grosse bordée de neige perturba le Québec, si bien que personne ne put se rendre en studio. Cela ne les empêcha pas de consacrer une bonne partie de l’émission à l’événement, de façon très originale d’ailleurs.
Notons que la tempête de neige causa d’énormes de maux de tête au premier ministre. Des gens restèrent coincés dans leur véhicule et les ministres dans leur lit, si bien que le gouvernement Couillard était encore une fois dans l’embarras. Si ce n’eût été des forces de la nature, personne ne sait jusqu’où la force de l’imbécillité aurait pu aller.
SOURCES :
(1) Extrait du texte de Philippe Papineau, dans Le Devoir du 14 mars 2017 : « Le porte-parole de M. Couillard, Harold Fortin, a expliqué au Devoir que c’est un journaliste de La Presse qui a contacté le cabinet du premier ministre pour obtenir une réaction sur la caricature de Jean-Marc Phaneuf. »
(2) Ibid.
(3) Voir le texte de Patrick Lagacé, dans La Presse du 13 mars 2017 : « Le scandale, c’est Transcontinental ».
(4) À ce sujet, Geneviève Lajoie, dans Le Journal de Québec du lundi 13 mars 2017 cite les propos de Mme Houda-Pepin: « La caricature ne dit pas qu’il y a un meurtre, avez-vous vu quelqu’un de mort là-dedans ? Moi, j’ai vu deux personnes debout. Puisque M. Couillard parle de meurtre, le seul meurtre qui existe pour de vrai, c’est l’assassinat politique que M. Couillard a commis à mon égard ».
(5) Sur le web à : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1022085/couillard-appelle-a-la-censure-selon-lisee
(6) Texte de Philippe Papineau, dans Le Devoir du 14 mars 2017, op. cit.
(7) Encore une fois, le commentaire de Mme Houda-Pepin, principale nommée dans mon dessin, abonde dans le même sens. En parlant de la réaction du premier ministre Couillard, elle écrivit le vendredi 17 mai dans Le Journal de Québec : « Il a poussé l’indignation — démagogie oblige — jusqu’à s’y voir en “djellaba islamiste” en train de “lapider une femme”, un geste qu’il a qualifié de “meurtre”. Comme fake news, on ne peut faire mieux ».
(8) Texte de Patrice Lagacé, dans La Presse du 13 mars 2017, op. cit.
La liberté d’expression à l’aut’journal
En 2019, devant la précarité des médias et de la liberté de presse en régression, je me suis tourné vers le Web où j’ai publié sur VraisMoutons.com, Facebook et à l’occasion sur Twitter. Toujours en quête de liberté d’expression, de mars 2020 à mars 2022, je me suis joint à l’équipe de l’aut’journal. Mais cette collaboration eut une fin déroutante.
À la fin mars 2022, comme sujet de caricature, une pratique universitaire aberrante méritait d’être soulignée. Malgré un but louable de diversité et d’inclusion, des universités canadiennes décidèrent d’exclure carrément les candidatures « d’hommes blancs » aux postes de chaires de recherche. Être issue d’un groupe minoritaire devenait un critère de sélection plus important que la qualité et les compétences d’un postulant. Ils appelaient ça de la discrimination POSITIVE. Défenderesse et praticienne de cette trouvaille de notre ère, l’Université Laval se retrouva sur la sellette. Je dénonçai ce geste raciste, par la caricature suivante.
Ce dessin éditorial fur le dernier proposé à l’aut’journal. Je le publiai sur le Web, ainsi que dans mon sixième album intitulé LIBERTÉ DE PRESSE aux Éditions Crescendo.
J’avais donc inclus ce dessin parmi mes suggestions de la semaine à la direction de l’aut’journal pour lequel j’oeuvrais déjà depuis 2 ans. La réaction du « boss » fut assez surprenante : libre de ne pas aimer ce dessin, il ne se contenta pas de le refuser et d’en choisir un autre comme il était convenu. Pierre Dubuc, dont le concept de la liberté d’opinion semble remonter aux temps médiévaux, me congédia sur-le-champ, offusqué de s’être fait proposer une caricature aussi percutante pour « SON » journal.
Voici le courriel qui me fit parvenir :
Le ven. 1 avr. 2022 à 09:01, Pierre Dubuc a écrit :
Jean-Marc
j’ai été estomaqué que tu nous proposes ta caricature qui compare l’offre d’emploi à l’Université Laval à l’apartheid ! Faut vraiment ne pas savoir ce qu’a été l’aparthied.
Ce n’est pas la première fois que je constate que nous ne partageons par la même orientation idéologique.
Nous ne sommes pas un sous-produit du Journal de Montréal, mais un journal qui veut proposer une aut’politique.
Aussi, il vaut mieux mettre fin à notre collaboration.
Je te remercie pour les collaborations passées.
Pierre Dubuc
Et voici la réponse que je lui fis :
Le 2022-04-07 à 21:53, Jean-Marc Phaneuf a écrit :
Bonsoir Pierre,
J’aurais aimé te répondre avant, mais comme tu sais, je prépare un recueil de caricatures ayant pour thème « LA LIBERTÉ DE PRESSE », et laisse-moi te dire que je ne manque pas de matériel par les temps qui courent. Je trouve ça passionnant comme travail.
Permets-moi de te remercier pour l’expérience que tu m’as permis de vivre dans TON journal. Félicitations pour ton travail de titan que nécessitent tes longs éditoriaux. Ce ne doit pas être facile de plaire à une clientèle en pleine mutation. Si seulement tu mettais la même énergie dans tes relations de travail.
Il y a deux ans, lorsque je t’ai proposé ma collaboration, j’étais conscient que même si nous avions plusieurs affinités politiques et sociales, je ne pouvais pas être une copie collée de TA pensée. Imaginer une telle chose relèverait de la naïveté ou du stalinisme.
Nous avions donc convenu qu’à chaque publication, je te présente un choix de caricatures sur différents thèmes d’actualité. Si jamais ce choix ne te convenait pas, tu m’avisais et je te retournais d’autres dessins sur l’heure, ce qui est arrivé que très rarement. Tous les dessins publiés reçurent évidemment ton assentiment. Mais ce n’était pas suffisant pour un suffisant. Pour un praticien de la pensée unique, il aurait fallu que TOUTES les caricatures proposées soient de la même orientation idéologique que la tienne, alors qu’UN seul dessin était nécessaire pour TA publication. En 45 ans de métier, c’est la première fois que j’ai eu à faire à un si gros ego.
Tu aimais bien prendre l’allure d’un p’tit patron « cool » en me demandant de te tutoyer. Mais en bon vieux patroneux dont le concept de la liberté d’opinion remonte aux temps médiévaux, tu t’horripilais du simple fait qu’à l’occasion, j’ose diverger d’opinion avec celle du patron.
En n’éprouvant du respect que pour toi-même, en pissant sur les aut’médias, tu imprègnes le bas de ton pantalon d’une odeur nauséabonde.
Que veux-tu, c’est sûrement une aut’méthode de gestion, une aut’façon de respecter des collaborateurs, une aut’politique d’aut’ocrate qui se targue de faire les choses aut’rement.
Bonne continuité,
Jean-Marc Phaneuf, caricaturiste.
Conclusion : VIVE LA LIBERTÉ DE PRESSE !
D’autres anecdotes sont à venir.
Merci de votre patience..